Wednesday, June 15, 2011

Directeurs Indépendants: Je te nomme, tu me nommes et la messe est dite!

Directeurs Indépendants
Je te nomme, tu me nommes et la messe est dite!
Directeur indépendant. Protagoniste important appelé, sur papier, à jouer un rôle clé au sein d’un conseil d’administration. Qu’est ce qu’un directeur indépendant ? A-t-il une identité juridique ? Jetons-y un coup d’œil.

Rendhee Veeren

De nombreuses entreprise mauriciennes, à quelques exceptions près, sont détenues ou contrôlées par les familles de l'entreprise. Ce qui pose un défi particulier pour la gouvernance d'entreprise (Corporate Governance). Un enjeu probant demeure l'approche que les membres de la famille qui dirigent l'entreprise adoptent envers les directeurs indépendants (Independent Directors). Théoriquement, dans les entreprises bien gérées, les directeurs indépendants sont considérés comme des partenaires du Management dont la tâche consiste à s'assurer que les dirigeants restent centrés sur la prestation de valeur pour les actionnaires. D’autres compagnies, cependant, tendent à considérer les directeurs indépendants comme un fardeau qui ont pour but principal de seulement « satisfaire » les règles des codes de bonne conduite afin d’éviter des sanctions éventuelles.
La question pertinente est de savoir comment est ce que la direction de l’entreprise entrevoit les directeurs indépendants? Sont-ils considérés comme un atout pour l'entreprise même s’ils sont appelés à poser des questions embarrassantes ?, Ou sont ils vus comme une charge qui est tolérée principalement pour des raisons de conformité et ce afin de faire bonne figure sur le plan de la gouvernance d’entreprises?
C'est une difficulté que certaines entreprises familiales tentent laborieusement de surmonter et cela implique nécessairement un changement de « mind set ». Il est impérieux de comprendre que les directeurs indépendants sont, ordinairement, destinés à servir ou plus encore défendre et protéger les intérêts des actionnaires de la compagnie, plus particulièrement ceux qualifiés de minoritaires. Il faudra évidemment du temps pour que certains cadres familiaux apprennent à apprécier et reconnaitre d’une manière sérieuse la contribution que ces derniers apportent ou pourraient apporter à l’entreprise.
Un directeur indépendant, contrairement a un directeur tout court, est conventionnellement décrit comme un directeur qui n'a aucune relation matérielle avec l’entreprise au-delà de son mandat (soit directement, soit comme un partenaire ou actionnaire qui a des rapports importants avec la compagnie). En outre, il est censé être indépendant de caractère et de jugement, et ne doit pas s’engager dans des activités qui pourraient porter atteinte a son indépendance.
A Maurice la notion de directeur indépendant émane du National Code on Corporate Governance (Le code) datant de 2003 et révisé en 2004. Le code le définit comme suite :
C’est un directeur, qui ne détient aucune fonction exécutive au sein de l’entreprise et n'est pas un représentant ou un membre de la famille immédiate (conjoint, enfants, parents, grands-parents ou petits-enfants) d'un actionnaire qui a la capacité de contrôler ou d’influencer significativement le conseil d'administration ou le Management. Cela comprend un directeur qui est nommé au conseil d’administration à l'instigation d'un parti avec une participation directe ou indirecte substantielle dans la compagnie.
D’autre part, il ne doit pas avoir été employé par la compagnie ou le groupe dont la compagnie fait partie, à quelque titre exécutif pour les trois années financières précédentes.

Il ne doit pas être un conseiller professionnel de l'entreprise ou du groupe autre qu'à titre de directeur.
Il ne doit également pas être un fournisseur important, débiteur ou créancier ou un client de l'entreprise ou du groupe (…).

Le directeur indépendant ne doit entretenir aucune relation contractuelle significative avec l'entreprise ou du groupe.

Il doit aussi être libre de toute forme de relation qui pourrait d'entraver sensiblement sa capacité d'agir d’une manière indépendante.

Qu’en est-il de la loi ? Le droit mauricien ignore le concept de directeur indépendant et les compagnies s’appuient uniquement sur la définition du rapport sur la gouvernance d’entreprises daté de 2003. La Companies Act 2001, législation qui régie le fonctionnement statutaire des compagnies, ne reconnait pas l’existence des directeurs indépendants. La désignation de directeur indépendant découle de la pratique et est utilisée uniquement dans le « National Code on Corporate Governance », qui n’a pas nécessairement force de loi. Le terme de directeur indépendant n’est, de ce fait, pas protégé par la loi. Est-ce que un oubli du législateur? Si la réponse est positive est ce que une lacune volontaire ou pas ? La question peut légitimement être posée. D’autant plus que la Companies Act 2001 aborde sans aucune gêne le concept de « Shadow Directors» ou encore celui de « Alternate Directors». A l’heure actuelle, tout individu peut ainsi s’appeler ou être qualifié de directeur indépendant. Toutefois, la question cruciale est de savoir si toute personne qui s’appellerait directeur indépendant peut avoir les mêmes pouvoirs qu’un directeur classique de compagnie tel qu’envisagé en droit des compagnies (Company law). Il n’existe présentement aucune reconnaissance juridique autonome du directeur indépendant. Il faut quand même souligner la timide tentative du législateur en 2009 de formaliser le code, par le biais d’un amendement à la Financial Reporting Act 2004, en énonçant que les «Public Interest Entities » doivent adopter la gouvernance d’entreprise conformément au code.

La question est donc de savoir si le code peut légalement créer des directeurs indépendants ayant le même pouvoir décisif dans les conseils que tout directeur classique dont le statut et le pouvoir sont précisés par la loi. En d’autres mots, le directeur indépendant produit par la pratique peut-il être distinct des autres directeurs dits classiques et qui sont prescrits par la législation?

Ces dernières années on a assisté à l'effondrement d'un certain nombre de grandes entreprises publiques à travers le monde à la suite des diverses crises financières et économiques. Plusieurs gouvernements et organismes de réglementation ont répondu à ces crises en haussant les normes de gouvernance d'entreprise. Et un des sujets communs dans ces réformes a été de promouvoir l’importance et la nomination des directeurs indépendants dans les entreprises.

En faisant des directeurs indépendants un aspect clé de la bonne gouvernance d'entreprise, les compagnies et les régulateurs pourraient être plongés dans un faux sentiment de sécurité. Pour exemple, le fait qu'une personne satisfait les critères de définition de directeur indépendant, n’est toutefois pas un gage a l’effet qu’il il va émettre un jugement indépendant lors des délibérations au sein du conseil d’administration.

Augmenter le nombre de directeurs indépendants au sein des conseils d’administration demeure l’un des objectifs des entreprises afin d’être en accord avec les principes de bonne gouvernance. Sur papier, indépendant, le directeur ne devrait pas craindre de critiquer ouvertement certaines orientations ou décisions prises par la direction de l’entreprise. Mais est ce que le cas dans la pratique ? Les directeurs indépendants ont-ils cette latitude requise afin de pouvoir s’exprimer objectivement sur des sujets controversés ou encore d’émettre un avis divergent ou contraire à leurs confrères détenant le pouvoir exécutif ?
Plusieurs études ont, à cet effet, été effectuées en Europe et aux Etats Unis concernant le rapport entre la nomination des directeurs indépendants et la performance de l'entreprise. La plupart d'entre elles réfutent néanmoins l'hypothèse que la nomination des directeurs indépendants dans les entreprises améliore la valeur de celles ci.

Il est également soutenu que les directeurs indépendants n’ont, très souvent, pas forcément l’expérience requise et auront tendance à gérer l'entreprise d’une manière plus conservatrice.

D’autre part, dans le contexte local, il arrive couramment que les directeurs entretiennent hors de l’entreprise des relations sociales. Ces rapports ont très souvent pour origine, par exemple, une formation universitaire initiale commune. Des recherches en France ont démontrés qu’un patron issu d’un réseau particulier a, en moyenne, une grande probabilité d’embaucher des directeurs similaires, ce qui jette un doute sur la notion d’indépendance dont devrait faire preuve les directeurs.
Finalement la chasse au directeur indépendant se fait toujours dans les mêmes puits. Lors d’une partie de golf ou encore dans les autres conseils administrations. C’est la règle suivante qui prévaut : Je te nomme, tu me nommes et on ne s’embarrasse pas trop. En d’autres mots, « Chacun son métier, les chèvres seront bien gardées.
A Maurice l’épanouissement et l’efficacité véritables des directeurs indépendants restent incomplet parce que la structure de capital des grandes entreprises est très fermée et concentrée. D’une part, les actionnaires nomment le conseil d’administration. D’autre part, ce sont ces mêmes actionnaires qu’on retrouve dans quasiment toutes les grosses entreprises et ce sont finalement eux-mêmes qui contrôlent le conseil d’administration. Il y a quelque part une relation incestueuse entre les différents protagonistes qui fait que la notion de gouvernance d’entreprise est biaisée.
Par ailleurs, on constate aujourd'hui, que de nombreuses lois dans divers pays prennent en compte les fondements de la "gouvernance d'entreprise", nommément des règles de bonne conduite qui inclue des intérêts distincts. Mais, l’antinomie est que les récents scandales, tels qu’Enron ou Worldcom ou encore les différentes crises économiques impliquent des compagnies qui pratiquaient toutes ces normes. Il ne suffit donc pas d’adopter ces règles pour être a l’abri des difficultés.

Ailleurs, aux Etats Unis nommément, le déploiement des pratiques de gouvernance d’entreprise concorde au souhait des marchés et des actionnaires afin de mieux surveiller les responsables de compagnies. En effet, jusqu'à récemment, les conseils d'administration étaient constitués d’auxiliaires de la compagnie et de gestionnaires. Le problème était que ces individus menaient la compagnie et contrôlaient le conseil d'administration simultanément, d'où l'introduction de directeurs indépendants afin d’agir comme une sorte de contre pouvoir.
Les directeurs indépendants ont manifestement un rôle prépondérant à jouer dans la pratique et le développement positif de la bonne gouvernance bien que leur statut légal est confus. Une formation formelle et appropriée avant toute nomination comme directeur indépendant est, de ce fait, indispensable pour tout individu qui voudrait exercer en tant que tel. Le directeur dit indépendant oublie aussi très souvent qu’il est d’abord redevable envers les actionnaires, surtout ceux dits minoritaires et ensuite envers les autres.